Entretien avec un doyen dans le domaine statistique – M. Lamine Diop, Ancien Directeur d’AFRISTAT, Observatoire Economique et Statistique d'Afrique Subsaharienne

Par la CEA

Nous sommes contents de recevoir aujourd’hui, M. Lamine Diop, Ancien Directeur d’AFRISTAT, Observatoire Economique et Statistique d'Afrique Subsaharienne

En fait, nous conduisons une série d’interviews avec les doyens dans le domaine statistique sur le continent. A travers cette interview, nous voudrions reconnaitre et saluer leur grande contribution au développement dans le domaine statistique en Afrique.

Nous recueillons, par le même biais, leurs avis sur quelques sujets du moment au vu de leur expérience dans le domaine.

   

Question 1 : Pourriez-vous vous présenter ? (Nom, nationalité, expérience en statistique, etc.)

Je m’appelle Lamine DIOP, statisticien économiste de nationalité sénégalaise. J’ai 75ans depuis le 24 février 2020. J’ai commencé ma carrière de statisticien le 1er août 1970.

Cela fait maintenant plus de 50ans sans interruption que je suis actif dans la statistique publique d’abord au Sénégal où j’ai exercé pendant dix (10 ans) à la Direction de la Statistique comme Chef de la division des synthèses économiques puis comme Directeur de la Statistique d’avril 1974 à août 1980.

M. Lamine Diop, Ancien Directeur d’AFRISTAT

 Ensuite j’ai été nommé Directeur du Centre européen de formation des statisticiens économistes des   pays en voie de développement (CESD-Paris). Puis, à partir de janvier 1996, en tant que premier   Directeur Général de l’Observatoire économique et statistique d’Afrique subsaharienne (AFRISTAT), j’ai eu à mettre en place et à développer cet outil d’intégration économique pendant huit (8) ans. A mon départ d’AFRISTAT le 2 janvier 2004, cette institution était déjà considérée comme un centre d’excellence.

A partir de 2004 et jusqu’à ce jour, j’exerce comme consultant international senior. Mes domaines d’intervention sont les suivants : l’organisation et la gestion des services statistiques nationaux et régionaux ; l’élaboration et l’évaluation de projets de développement statistique et notamment de stratégies nationales de développement de la statistique (SNDS) ; la législation et la déontologie statistiques.

Sur le plan associatif, je suis membre élu de l’Institut international de statistique (IIS) depuis 1978. J’ai été Vice-Président de l’IIS de 1981 à 1983. Je suis membre fondateur de l’Association Africaine de Statistique (AFSA) et premier Président de l’AFSA de 1985 à 1987.

J’ai également été désigné à deux reprises comme Président du Comité de coordination pour le développement de la statistique en Afrique, organe consultatif de la Commission Economique des Nations unies pour l’Afrique (1992-1994 et 1996-1997).

Ma contribution au développement de la statistique publique au Sénégal, en Afrique et dans le monde m’a permis d’obtenir les distinctions suivantes : Chevalier de l’Ordre National du Mérite du Sénégal (Février 1985), de l’Ordre National de la Côte d’Ivoire (Janvier 1987), de l’Ordre National du Mali (Octobre 2003) et de l’Ordre National du Niger (2016) ; Chevalier de la Légion d’Honneur de la République Française (Juillet 2004) ;  Lauréat en 2008 du Prix Africain de la Statistique décerné pour la première fois par la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique en janvier 2008. Lauréat du Prix Mahalanobis 2013, attribué tous les deux ans par l’Institut International de Statistique à un statisticien émérite originaire des pays en développement et ayant travaillé dans ces pays.

Je suis marié et père d’un enfant né en 1983.

Question 2 : Comment jugez-vous l’évolution dans le domaine des statistiques officielles sur le continent durant ces dernières décennies vis-à-vis de la production et dissémination des données ?

Au cours des dernières décennies, la production et la diffusion des statistiques officielles ont enregistré des progrès notables, avec des différences selon les pays.

Ces progrès ont été rendu possibles grâce à la formation d’un grand nombre de statisticiens de qualité, aux réformes institutionnelles des services nationaux de statistiques qui sont, pour la plupart devenus des organismes ayant une autonomie de gestion et des budgets plus importants.

En même temps, les gouvernements africains ont pris conscience de l’utilité de bonnes statistiques pour la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques, programmes et projets de développement économique et social. Il convient également, parmi les facteurs de progrès, de mentionner l’utilisation accrue des technologies de l’information et de la communication qui a favorisé ce que l’on appelle la révolution des données.

Question 3 : La fiabilité des données sur le continent reste encore un défi. Certains organismes/intellectuels questionnent la qualité des statistiques officielles. Comment évolue cette situation ?

Malgré les progrès enregistrés, l’amélioration de la disponibilité et de la qualité des données reste un défi à relever. De nouveaux domaines ont émergé comme le changement climatique, la bonne gouvernance, la paix et la sécurité.

Une demande importante est notée pour des statistiques désagrégées selon le genre et les différents niveaux administratifs ou géographiques. Des efforts doivent être faits pour satisfaire les nouvelles demandes.

A cet effet, les gouvernements africains, les organisations d’intégration sous-régionales, régionales et continentales et les partenaires techniques et financiers doivent augmenter les ressources mises à la disposition des services statistiques nationaux.

L’atteinte des objectifs des programmes de développement nationaux, des Objectifs de développement durable (ODD) et de l’Agenda 2063 de l’Union africaine nécessite des statistiques détaillées, plus complètes et produites dans les délais souhaités.

On y parviendra grâce à une meilleure organisation des systèmes statistiques nationaux, à une meilleure coordination de toutes les institutions qui apportent un appui au développement de la statistique publique et une utilisation systématique et rationnelle des nouvelles sources de données grâce aux technologies de l’information et de la communication.

Question 4 : Quels sont les quelques exemples clés de l’impact ou de la contribution des statistiques à la bonne gouvernance en Afrique ?

Depuis quelques années, plusieurs pays africains mettent en œuvre des stratégies ou des programmes visant l’émergence économique dans un horizon variable selon les pays. Ces stratégies et programmes insistent sur la bonne gouvernance qui souvent constitue un des piliers à côté de la transformation structurelle de l’économie, de la croissance économique et de l’amélioration du capital humain.

L’élaboration de ces stratégies et programmes repose sur des statistiques de bonne qualité. Il en est de même pour le suivi de leur mise en œuvre et de leur évaluation.

Afin de promouvoir la bonne gouvernance, l’Union africaine a créé le Mécanisme africain d’examen par les pairs (MAEP) qui, sur une base volontaire, fait un examen détaillé de la gouvernance des pays africains dans tous ses aspects ; politique, économique et gouvernance d’entreprise. Cet examen détaillé repose sur des statistiques diverses.

Plus récemment, dans le cadre des programmes de résilience élaborés par les Etats africains pour combattre les conséquences néfastes de la pandémie de la Covid-19, plusieurs gouvernements déroulent des programmes d’appui aux couches les plus vulnérables sous la forme de dons en vivres ou en cash.

Dans un pays comme le Sénégal, le Registre national mis en place avec l’appui de l’Agence nationale de la statistique (ANSD) dans le cadre du programme de bourses familiales a facilité l’identification des ménages qui devaient recevoir des dons en vivres dans le cadre du programme de résilience économique et social (PRES) à la pandémie due à la Covid-19. On pourrait citer d’autres initiatives similaires dans d’autres pays.

Question 5 : Il existe de nombreuses parties prenantes dans le domaine de renforcement statistique sur le continent ; quel mécanisme mettre en place pour une meilleure collaboration ?

Malgré des avancées notables, la collaboration des parties prenantes dans le domaine du renforcement des capacités statistiques doit être renforcée.

A cet effet, les contributions de toutes les parties prenantes doivent s’insérer dans les plans d’action des SNDS qui doivent être mis en œuvre, suivis et évalués. En effet, les SNDS doivent être les cadres uniques de référence pour toutes les initiatives visant le renforcement des capacités statistiques. Il convient toutefois de noter que tel n’est pas le cas dans tous les pays.

Votre mot de la fin.

Je remercie le Centre africain pour la statistique de la CEA de m’avoir donné l’occasion de partager mon expérience et certaines idées sur le développement de la statistique en Afrique, à travers le Bulletin africain d’information statistique.

Pour terminer, je voudrais inviter les systèmes statistiques nationaux à accorder une attention soutenue à leur organisation et à leur bonne gouvernance.

Enfin, j’invite les jeunes statisticiens et les jeunes statisticiennes à prendre toute leur part dans ce processus. L’avenir de la statistique africaine repose sur leurs épaules. Leurs talents, leurs capacités d’adaptation et leur ouverture d’esprit doivent être pleinement mises à profit.

NB: Cet entretien a été réalisé en février 2021.